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  • Writer's picturePierre Giorgini

Approche géopolitique de la Glocalité

Updated: Nov 16, 2022

Les actants d’une nouvelle sédentarité


La sédentarisation est une longue histoire. Il a fallu 150 000 ans à Homo sapiens pour inventer la sédentarité. Or c’est bien cette sédentarisation qui a fondé les traits principaux de notre anthropologie contemporaine. Les nomades d’abord chasseurs cueilleurs probablement pacifiques ont appris à cultiver, élever, croiser les espèces. Au Proche Orient, il y a 10 000 ans environ, des petites villes de plusieurs milliers d’habitants sont nées. Au même moment en Chine, s’est développée une économie agricole, fondée sur le riz, le millet, le porc, le chien et le poulet.

Jacques Attali écrit dans « Une brève histoire de l’avenir » :

« La sédentarité est donc une idée de chasseur ; l’agriculture, une invention de nomade ; le pastoralisme, une pratique de paysan. »

Mais le désir des sédentaires de trouver, et de conquérir des terres encore plus fertiles ou aux conditions géologiques et climatiques plus propices au développement de la vie humaine, a fait naître en même temps que la domestication du cheval, du renne ou du chameau, de l’invention de la roue, du cuivre et du bronze pour les flèches et les chars, une nouvelle forme de nomadisme, celui des conquérants. Les sédentaires ont dû alors se protéger en érigeant des remparts, en payant le prix de la protection par l’impôt qui permettait de lever des armées, de payer des nomades « défenseurs » qui allaient au-devant des nomades envahisseurs. Les premiers ordres impériaux sont alors apparus, les premiers Etats et un progrès fulgurant à l’échelle du temps paléontologique a eu lieu dans tous les domaines : techniques, sociaux, culturels, religieux.

Jacques Attali écrit à nouveau dans « Une brève histoire de l’avenir » paru chez Fayard après avoir déroulé cette histoire de la sédentarisation :

« Leçon pour l’avenir : c’est dans la confrontation des nomades et des sédentaires que l’humanité progresse et innove. »

Où en est-on aujourd’hui dans nos pays dits développés. Le nomadisme de l’information est intégral ainsi que celui des idées. Les images se déplacent à la vitesse de la lumière. Il n’y a plus de territoire physique, géographique, pour ce qui relève des échanges médiatisés (écrits, oraux, images…) de la pensée, des concepts, des croyances, de l’art, autre que la planète toute entière dont la taille est réduite à une toute petite boule dont il faut un sixième de seconde pour faire le tour. Il en est de même de celui des croyances de toutes natures, religieuses ou ésotériques. En fait, le changement radical d’échelle en temps et en distance entre ce qui concerne le mouvement des corps et de la matière (voyage, transport : 44 heures pour le tour de la planète au plus vite) et ce qui concerne le mouvement du regard, de l’esprit (un sixième de seconde pour transférer une image, un texte, un objet) n’a jamais été à ce niveau. De tout temps les informations, les idées et les images se sont déplacées à une vitesse commensurable avec celle du déplacement physique. C’est cette dé-corrélation intégrale, combinée avec l’enrichissement des données transportées (3D, image Haute Définition 3D, téléimpression 3D…), combinée avec des puissances de traitement et de stockage impensables (1 milliard de milliards d’opérations par seconde – ordinateur quantique), combinée avec des intelligences de consultation et d’investigation des données sans limites (Agents intelligents), qui est une source essentielle du bouleversement anthropologique que nous observons. Ce voyage de l’esprit était déjà infini pour nos aïeux, mais par l’imaginaire intérieur appuyé plus ou moins sur des photos ou des revues, ou des films qui mettaient du temps pour arriver, et dont l’éloignement symbolique correspondait à l’éloignement physique dans la perception que l’on avait des choses, de leur décalage avec le présent, le ici et maintenant. Du coup, tout était re-contextualisable et donc en capacité d’être maintenu à distance de soi, de son lieu. On voyait déjà des gens mourir de faim en photo, en film, on voyait des gens se faire la guerre, des animaux étranges se dévorer, on pouvait acheter des œuvres d’art africain, des épices, mais le sentiment de l’éloignement et donc de l’étrangeté respectait le terrain de son lieu à soi, protecteur, sécurisé, physiquement connu et exploré. Aujourd’hui, on est branché en direct sur le monde. L’esprit, le regard, la pensée, le dialogue peuvent voyager instantanément et sans limite dans ce tout petit monde, dans cette petite boule d’un sixième de seconde. On pourra bientôt déplacer aussi la matière en la reproduisant à l’identique à l’autre bout du monde. C’est déjà le cas, lorsqu’une imprimante 3D connectée imprime localement un objet dont l’idée vient d’émerger d’un groupe de Designers situés à 10 000 km de là et permet d’en partager la conception à partir de sa réalité physique observée, manipulée, testée. En fait, on expérimente comme des explorateurs, des précurseurs, les prémices d’un monde sans distances où même les objets se déplaceront instantanément, car ils ne seront rien d’autre que de l’information.



Un changement radical de la relation du singulier à l’universel



Le passage du pyramidal au latéral maillé (coopératif maillé) inverse le paradigme de la relation entre le singulier et l’universel, entre le local et le global. Ce n’est plus le local qui vient s’interroger dans le global, c’est le distant, le lointain, le global, qui vient immerger le local dans le global. Ce n’est plus le singulier qui donne sens à l’universel, c’est l’universel qui donne sens au singulier en l’englobant. Dans la complication, le tout est reconstruit par l’esprit comme un assemblage d’éléments simples et singuliers. Dans la complexité, c’est le tout en interaction qui donne sens à la singularité des composants qui font le système. Il s’agit d’une inversion de toutes les représentations. L’aventurier des mers du XVième siècle partait de son port d’attache, de là où il était, de chez lui, de son lieu, pour aller découvrir un nouveau monde dont il espérait revenir enrichi. Le convoité était confronté à un envahisseur souvent lointain qui venait tenter de le conquérir. Il allait développer son lieu, l’enrichir, l’étendre où devait le préserver. C’était d’ici à là-bas ou de là-bas à ici. Maintenant c’est ici dans le tout. L’aventurier postmoderne, doit réinventer en permanence son port, son lieu, pour accueillir tous ces nouveaux mondes qui sont à ses portes et le bouleversent complètement. Le passage décrit par Edgard Morin de la complication à la complexité procède probablement aussi de cette inversion. Christophe Colomb a été confronté à quelque chose de compliqué, mais pas complexe pour lui, car il a pu continuer à interpréter (à tort certes : cas des indiens), ce qu’il découvrait à la lumière de ses cadres de références ancrés dans son histoire, sa culture, son local. Il pouvait s’appuyer sur sa « base arrière » culturelle et physique pour se lancer à la découverte du Monde. Il était en conquête, en transfert de lui vers eux. Il y avait polarisation intrinsèque de l’acte, dans une vision linéaire de A vers B ou de B vers A. Il a été physiquement du local au global, mais aussi intellectuellement, et il tentait d’élargir le cercle de ses représentations en les laissant s’altérer, se confronter à la nouvelle situation qu’il rencontrait. C’était une altération de « feed back ». Le Christophe Colomb moderne ne quitte pas son port, point besoin de bateau, de voile et d’équipages, son lieu, son port, est tissé dans un « acteur-réseau » mondial qu’il parcoure instantanément. Il habite une circularité où tout est interaction.

Alors certains voudraient bien continuer le monde d’hier avec les avantages du monde de demain, une fois la virtualisation intégrale des images, de la connaissance et de l’intelligence, ainsi que la convergence internet, abouties. On voudrait quitter son port quand on veut, quand on a envie d’aventure ou découverte, de dépaysement, mais pouvoir venir s’y réfugier aussi quand on veut, comme une base arrière, bien douillette, bien protégée derrière ses remparts physiques et culturels. La télévision, internet, fonctionneraient comme une fenêtre que l’on déciderait d’ouvrir ou de fermer. Aller chercher les épices, les matières premières, le pétrole, échanger les marchandises, mais en gardant à distance ceux qui les produisent ou les achètent, ceci était possible dans le Monde d’hier. Mais il faut prendre conscience qu’un tel monde n’est possible que si il est asymétrique. C’est-à-dire, que ceux qui veulent garder l’esprit de voyage sans accueillir de voyageurs, qui veulent garder sous contrôle l’altération de leur culture tout en allant la réinventer de façon volontaire et maitrisée chez celle des autres par le voyage, sont dans une quête impossible, paradoxale, d’un monde asymétrique où les dominants seraient des sédentaires qui se nomadiseraient à leur gré. Mais la convergence internet, le passage à un réseau mondial en mode coopératif et maillé est par essence non hiérarchique, en symétrie intégrale, et il transforme à son tour le monde physique par la diffusion globale et générale, instantanée, des désirs des autres, stimulant potentiellement la violence du désir convoité tant que des déséquilibres mondiaux existent. Ce n’est donc tout simplement pas possible dans un réseau maillé coopératif, d’introduire des hiérarchies, et des flux polarisés, c’est-à-dire ne fonctionnant que dans un sens, ou avec un processeur coordonnateur qui maitrise vitesse et flux. Un réseau coopératif maillé est entièrement symétrique, et en même temps il symétrise le monde physique. Le monde d’avant, celui qui voyageait du local vers le global, se termine. Le monde s’est inversé, il est un tissus d’interrelations instantanées, on ne voyage plus, on choisit ce que l’on veut regarder, voir et avec qui on veut entrer en interaction dans ce tissu global de reliance instantanée. Il n’y a plus de chez soi par opposition au chez les autres, il n’y a plus qu’une configuration plus ou moins familière de l’acteur-réseau où l’on séjourne un moment. Il n’y a plus des lieux de guerre et des lieux de paix, il y a une situation d’hyperpaix répartie qui « switche » avec une situation d’hyperguerre répartie en quelques secondes n’importe où sur la planète. Il n’y a plus les civilisés et les barbares, il y a un tissu diffus, paradoxal, de barbarie violente et de comportements raffinés et humanistes. Il n’y a plus des pays intégralement pauvres et des pays intégralement riches, mais une cohabitation paradoxale et en réseau d’espaces de pauvreté et d’espaces de richesse imbriqués. Ce monde multicommunautaire, composé d’un réseau de communautés éphémères, avec des logiques d’appartenances multiples, paradoxales, en constante reconfiguration peut-il être viable, pacifié, offrant une stabilité minimale ?

Alors que va-t-il advenir ? Un corps sans peau, sans frontière entre le dedans et le dehors est-il imaginable ? Un monde sans territoire, sans culture propre, fait de configurations territoriales éphémères et reconfigurables à la demande, composé de flux sans stock, liquide intégralement, est-il viable ? Qui sur la planète sera équipé de la portance psychique et sociale pour habiter partout, se sentir partout de passage chez soi. Les résistances sont en route et comme dans toutes les situations de transition historique, des alliances inédites, paradoxales, potentiellement dangereuses émergent. Celle de la sacralisation quasi-religieuse de la préservation (patrimoine, biodiversité, langues anciennes, cultures locales, traditions de toutes natures…) avec les radicalités religieuses, les tenants de l’ordre naturel, d’un repli identitaire, d’un refus de l’altérité. Celle d’une écologie radicale avec les tenants d’une nouvelle morale de vie, basée sur l’ascèse, inquisitrice et castratrice. Celle d’un principe de précaution radical interdisant toute avancée des découvertes nouvelles, avec un populisme de condamnation des élites dites corrompues avec le système. Voilà ce qui nous guette, car derrière tout cela se trouve un affaiblissement de l’esprit d’aventure, du gout de l’altérité, de l’esprit de mouvement, de l’esprit d’effort, de l’esprit d’adaptation agile, un repli vieillissant qui va faire fuir ou repousser des lieux, ceux qui pouvaient le transformer. Mais on oublie alors, que tout le progrès qui a permis cette mise en sécurité des ports (hôpitaux, police, armée, maison de retraites, sécurités sociales) ont été apporté par le mouvement, par l’échange, par l’incroyable progrès et les innovations qu’ont générés la confrontation de l’esprit de sédentarité et celui de nomadisme. On ne peut facilement en conserver les bénéfices et en rejeter les contraintes. Mais la quête d’espaces identitaires à taille humaine est elle aussi légitime, celle de la préservation de notre relation à la nature, dans une coopération réversible au lieu d’un arraisonnement irréversible, est salutaire ; celle d’une relocalisation à taille humaine dans un univers reliable avec la tradition et le passé de chacun est estimable. Alors, quelle nouvelle définition de la localité, comment la renouveler et la vivre ? Comment créer ces espaces transitionnels dont parle Jacques Arènes pour permettre cette autopoïèse constante de nos lieux, réinventant leur membrane (frontière) dans ce qui la traverse.



Glocalité et géopolitique



En quoi cette approche de la glocalité émergente peut aussi nous aider, d’une certaine façon, à lire les bouleversements géopolitiques actuels, y compris la situation au Moyen-Orient ? Même s’il ne s’agira pas d’une étude exhaustive, intégralement explicative, qui nécessiterait une analyse historique, géopolitique, religieuse, et géographique, cette approche peut éclairer d’un point de vue un peu nouveau ce qui se passe actuellement à travers le monde et peut-être esquisser des perspectives à long terme. Comme on l’a vu au premier chapitre, le bouleversement de la notion de distance (qui s’affranchit progressivement des contraintes de distance physique) transforme profondément la topologie socioéconomique et géopolitique mondiale. C’est-à-dire son découpage en sous éléments plus ou moins disjoints. (villages, contrées, villes, états, continents…)

En effet, la convergence internet, combinée à la mondialisation, nous fait passer progressivement d’un Monde dont la distance structurante dominante et intégrative des distances économiques (niveau de vie), ethniques, culturelles, religieuses, coutumières… restait la distance physique (états, frontières, accords, guerres), à un monde « multi-distant », « multi-appartenant », c’est-à-dire combinant des logiques d’appartenance affranchies de la distance physique. Dans les Etats d’hier, avec des variantes fortes, on était d’abord Français, Allemand, Italien, Anglais, Américain, Marocain, Egyptien avant d’être juif, catholique, ou musulman, mais aussi altermondialiste, végétarien, bouddhiste, taoïste, féministe mais aussi riche, pauvre, patron, exploité, exploiteur…Ceci, pour le meilleur et pour le pire s’écroule sous nos yeux malgré les tentatives désespérées des Etats, d’y survivre, en tentant de développer ou de redévelopper la notion d’Etat Fort. Il n’est pas surprenant de voir cet écroulement commencer par là où la notion d’Etat n’était pas fortement enracinée dans une histoire collective ancienne et forte, même si la force s’exerçait par la dictature (grande partie des pays en crise aujourd’hui au Moyen-Orient et en Afrique). Cette caractéristique est bien sûr amplifiée par la place des conflits religieux, ethniques, économiques dans les relations entre les gens et les communautés selon les Etats.

Les riches, et les élites sont déjà pour la plupart transnationaux. Mais un pauvre Français se sent peut être déjà plus proche d’un pauvre Africain que d’un riche Français. Un écologiste Danois, plus proche d’un écologiste Sud-Africain que d’un pollueur Danois. Et ceci peut être reproduit à l’infini. La communauté nationale perd du terrain face à un monde de clubs ou de communautés avec une multi-appartenance qui détruit les formes historiques de lien social. En effet, ce qui faisait le lien social d’un Etat, d’une Société, c’était notamment une référence partagée à des valeurs constitutionnelles traduites dans une loi, des normes et des codes communément admis. Ceci se combinant avec un Mythos commun, c’est-à-dire une réalité narrative, historique, avec ses héros, ses évènements constitutifs connus et reconnus. La démocratie de défiance si bien décrite par Pierre Rosanvalon, conduit parfois à l’idée qu’une désobéissance civique est légitime, si elle porte des valeurs qui transcendent la communauté nationale. Et là, le grignotage progressif est sans limites. Car c’est assister à une dilution du droit dans des droits communautaires.

Face à cela, on peut tenter de faire plus de la même chose (durcir la loi, promouvoir un état fort, se replier sur son identité nationale, fermer ses frontières, interdire internet…). Mais alors, comme souvent, les solutions qui consistent à faire plus de « comme avant » risquent d’amplifier la force du problème nouveau. En effet, tout ensemble de règles sensées s’appliquer à un système, nécessite une « urbanisation » du système, c’est-à-dire la réduction de la complication globale du système en éléments plus simples : en classes, en catégories, en espaces… dont ensuite on peut définir les règles propres et les règles qui définissent leurs interactions. Par exemple, le droit de l’énergie, comme celui du transport ou celui des télécommunications, s’appuie sur une identification de deux domaines séparés et disjoints, le domaine public et le domaine privé. Une grande partie du droit s’appuie également sur la différence entre la sphère publique et la sphère privée, qui ne répondent pas aux mêmes règles. Il en est de même pour le commerce, entre activité marchande et production domestique, ou pour l’exercice de la religion, entre espace public et espace privé. Pour le droit du travail, beaucoup d’éléments s’appuient sur la différence entre activité professionnelle, ou entrant dans le cadre professionnel, et celles entrant dans le cadre privé ou domestique ou de loisir. On peut multiplier les exemples à l’infini, vidéosurveillance, exhibitionnisme… En général, vouloir un état fort, c’est vouloir renforcer sa capacité régalienne, préventive et répressive dans la sphère publique tout en préservant une liberté plus grande dans la sphère privée. Or cette frontière a-t-elle encore un sens et quel sens aura-t-elle demain ? Que devient cette segmentation domaine public/domaine privé quand les bâtiments deviennent producteurs d’énergie, quand chacun peut devenir tour à tour producteur ou consommateur et créer avec ses voisins un mix énergétique régulé par un « smart grid », réseau intelligent de coopération d’objets connectés. On voit que la notion de domaine mutualisé plus ou moins public émerge dans ce cas. Que dire du wifi partagé par plusieurs voisins dans un immeuble, ou de la mutualisation des puissances de calcul entre les ordinateurs de plusieurs personnes. Comment définir le transport en commun sur le domaine public dans un modèle de covoiturage intelligent ? Le passage du modèle arborescent ou pyramidal, distributif, (client/fournisseur) au modèle coopératif et maillé, ne fait pas qu’effondrer les hiérarchies traditionnelles, il ouvre à la constitution plus ou moins éphémère d’espaces de mutualisation plus ou moins « publics », où chacun devenant tour à tour client ou fournisseur, producteur ou consommateur, dé asymétrise la relation d’échange au sein d’une toile plus ou moins étendue d’échanges multilatéraux. L’espace public et l’espace privé ne sont plus aussi hermétiques que cela. Du coup, le sentiment d’appartenance à une société ou à un Etat qui prenait sens en grande partie au travers des valeurs, des lois, des règles qui régentaient le fonctionnement des espaces du vivre ensemble (espace public) est de moins en moins intégrateur et producteur de sens collectif. Nous entrons bien dans un monde multi appartenant. La taxonomie des espaces d’appartenance collective se diversifie, s’affranchi un peu plus chaque jour des distances physiques et donc des frontières. Pourtant, il y a bien urgence à recréer des identités collectives sur des espaces plus larges, si on ne veut pas revenir à des formes tribales, basées sur la loi du plus fort, ou du plus « excellent », multi conflictuelles, où les rivalités globales se traduiraient par des guerres locales et réciproquement, où le droit communautaire prendrait le pas sur le droit intercommunautaire.



La glocalité au service de la guerre et de la barbarie



Là est le cœur de la question de la glocalité positive. Dans l’exemple de Daesh, c’est une vision locale d’un futur global apocalyptique diffusant et alimentant un réseau global, mondial, terroriste qui est mise en place. Elle s’est nourri sur un terrain local de plusieurs décennies de frustrations, de dictatures, tantôt sunnite à l’égard des chiites, tantôt l’inverse, générant dans tous les cas une rancœur profonde contre des Etats répressifs qui n’ont jamais vraiment existés dans une tradition partagée, qui n’a été que l’exercice d’une autorité absolue sans mythos commun, sans sentiment réel d’appartenance à une Nation. Une création artificielle, dont le maintien artificiellement en vie, est attribuée, pas sans raison, aux intérêts uniques de l’occident et d’une minorité locale, tantôt chiite face à une majorité sunnite, ou l’inverse. Alors amalgame facile, entre violence et modernité, entre humiliation et model occidental de la modernité, entre honneur et retour aux sources d’un islam dominant le monde, celui du moyen âge. En lisant ces mots, on voit comment cette frustration peut trouver écho en réseau, auprès de jeunes dont la vie ne fait plus sens, car ils ne trouvent plus les lieux qui font sens à leurs yeux. Ils les cherchent dans ceux qui adressent une cause qui ne leur paraît pas si lointaine de leur condition de vie locale. Il suffit d’y ajouter une croyance primaire en un éternel à jamais redevable de leur sacrifice, et le tour funeste est joué. Et pourtant, c’est une vision peu partagée à l’échelle de la planète, qui s’appuyant sur une base locale assez réduite à l’échelle de l’humanité vient perturber gravement l’ensemble des humains, par la mise en réseau d’acteurs déterminés et violents à l’échelle globale, prenant en otage l’ensemble des humains (par l’image et le son instantanément diffusés et partagés de leurs exactions), qui dans leur grande majorité aspirent à un monde plus juste, plus inclusif, plus respectueux des générations futures. La perception partagée, légitime ou pas d’un échec de la globalisation sans frontières, qui a cru pouvoir écraser les « localités archaïques » au nom d’un global prometteur du point de vue du progrès collectif, sécularisé, fait que la seule réponse sur le long terme, me semble-t-il, c’est de substituer à la glocalité barbare, des glocalités positives.



Substituer en urgence à la glocalité barbare, des glocalités positives



Préserver la planète ici, c’est la préserver là-bas. Inclure les fragilités dans nos modèles sociaux ici, c’est aussi et en même temps le faire là-bas. Le ici et le là-bas sont en réseau, connectés, reliés, interdépendants dans la violence comme dans la modération, dans l’exclusion comme dans l’inclusion. Or, foncer sans réfléchir dans la notion d’Etat fort et en augmenter les capacités régaliennes, c’est prendre le risque d’écraser peut être les glocalités barbares ou négatives, mais surement d’écraser les glocalités positives qui ont besoin au contraire de droit à l’expérimentation et à l’initiative, d’espaces de re-création de lien social dans la nouvelle taxonomie des espaces mutualisés plus ou moins publics, de réinventer en marchant la notion d’intime, de domestique, de privé. De faire émerger des espaces de co-création de solutions fondamentalement nouvelles et donc bouleversant les cadres de référence y compris juridiques…

Il s’agit de prendre conscience que dans le Monde globalisé en réseau où tout est instantané, la violence faite aux femmes, aux enfants, aux pauvres, aux déracinés, que ce soit loin ou prêt, ici ou là-bas, c’est la même chose, c’est interdépendant, c’est connecté. Le boom rang revient plus vite qu’il n’est parti, car il est là-bas et ici en même temps. Cela oblige à repenser l’interdépendance, à l’intégrer dans les modèles économiques qui restent des modèles de flux, d’échanges, alors que la réalité n’est plus un flux, mais une systémique complexe, multi-facteurs, aux changements instantanés : un banc de poissons dont la trajectoire ne peut être pensée comme une extrapolation des trajectoires précédentes.

Substituer à la glocalité barbare, des glocalités positives, c’est-à-dire en capacité d’intégrer localement les enjeux globaux d’un monde qui veut tendre vers plus d’humanité au niveau local comme au niveau global et en même temps vers une préservation des intérêts des générations futures ici et là-bas. Il faut donc effectivement renforcer le rôle des Etats, mais en réduisant son spectre d’intervention régalienne sur les droits fondamentaux des personnes et surtout, le droit fondamental des générations futures qu’il faut organiser du niveau planétaire au niveau local. Ce modèle dit hétérarchique doit accepter de renforcer la hiérarchie Etatique et interétatique sur la préservation des droits fondamentaux et ouvrir des espaces d’expérimentation, d’hétérogénéité d’initiatives, de co-création de solutions locales, glocales, en les facilitant, mais aussi en organisant l’autoréflexivité des communautés porteuses sur la compatibilité de ces initiatives avec l’intérêt général, pouvant aller jusqu’à les stopper, d’où l’importance de la notion de réversibilité dans l’innovation radicale. Il s’agit alors de faciliter l’émergence à l’échelle planétaire d’un mythos commun, transculturel, trans religieux, autour de la gestion idéale et raisonnable de la maison commune.

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